Rivers

eden levi am

Rivers

07.09 — 30.09.23
Vernissage: 

mercredi 6 septembre dès 18h

 

Performance de eden levi am, Gorge et Catol Teixeira prévue le jeudi 21 septembre dès 20h30 dans le cadre du Fesses-tival.


Plus d'informations : https://lefessestival.ch/Rivers

Au creux des larmes comprendre le vertige

 

« Nous ne sommes pas de simples témoins de ce qui se passe. Nous sommes les corps par lesquels la mutation arrive et s’installe. La question n’est pas de savoir qui nous sommes, mais ce que nous voulons devenir. »1

On dit des Naïades qu’elles pouvaient vivre pendant des milliers d’années, tout en restant toujours jeunes et belles. Qu’elles avaient des talents de guérisseuses. Que les malades venaient boire l’eau de leur source. On dit aussi que la simple vision d’une Naïade était risquée car elle pouvait entraîner une folie passagère. eden levi am invoque les Naïades, et en propose une nouvelle mythologie. De celle qui cède à l’intimité, la laisse communier avec la nature alentour – de glaise et d’eau.

Rivers est un contre-récit. Une narration à contre-courant d’une esthétique blanche et hétéronormative. Une volonté de choquer les paysages mortifères – en proposer une histoire plus révolutionnaire, plus complexe. Un lieu pour repenser les apparences qui limitent au corps. eden propose à celleux qui se baignent de peupler les rivières, se délester dans l’eau douce, être fièr.e de ce à quoi iels appartiennent. De poser la nudité comme un empuissancement des corps marginalisés. Habiter la nature, la seule à supporter la vue des monstres.

eden propose de suivre avec ellui ses amitiés, ses rencontres, de partir en balade. De s’extraire de l’enfermement. Tout a existé pendant la période difficile du confinement. Il s’agissait de trouver une respiration aux confins de Genève. Trouver un refuge loin de la dégénérescence, continuer à s’inventer. Il ne faut pas sous-estimer pour les corps queer, l’importance des espaces capables de recevoir la déviance. Il s’agit toujours pour nous de créer des hétérotopies pour résister et vivre pleinement. eden a trouvé au creux des rivières genevoise - un espace suspendu, isolé, loin du centre-ville. La possibilité de s’abandonner.

C’est une histoire d’amour, d’aimer les autres tel.les qu’iels sont. Les rendre à elleux-mêmes. eden te propose de te mettre nu.e. si tu en as envie. D’enlever tes vêtements. De comprendre ce qui se joue au moment où il n’y a plus rien entre ce qui t’entoure et ta peau. A quel point ça révèlera ta force d’être dépossédé.e d’apparition sociale – celle attendue, celle qui te fige et t’interdit de dépasser. Celle qui oublie la multitude. Se défaire de ce qui nous piège à nous-même, parce que nous sommes multiples, et changeant.e. Etel Adnan disait « Ton identité est ta prison ». Au conflit de ce qu’on aimerait être, de comment on s’efface parfois au point de disparaitre – eden propose de révéler chaque force qui émane de chaque personnalité. Tantôt amphibique, toujours étrange, puissante. Qui regarde droit dans les yeux. Trouve une résistance, une assise. Une pause magistrale.

eden levi am magnifie l’ambiguïté de genre. Il désexualise les corps, les dégénitalise. Débinarise les clichés esthétiques du nu. Questionne. Déplace les attentes. Photographie des corps cailloux, des mains d’eau, des yeux rochers. Rend mutant.e. Met à l’honneur une génération qui se réinvente en tant qu’espèce, qui décide de son propre langage. Qui, par ce biais-là, touche à l’immortalité. L’usage du procédé photographique analogique monochrome brouille les repères temporels, caresse une réalité sourde. Amplifie les silhouettes sculpturales. Un monde rêvé en noir et blanc, une vérité frontale. Une technique à rebours d’une pratique numérique actuelle. Un appareil reflex bi-objectif qui permet de poser un regard indirect sur la nudité et l’autre en face. Qui enregistre le réel, en témoigne.

L’archivage est une des questions les plus importantes de nos communautés queer. La préservation de traces visuelles des minorités de genre est primordiale dans un monde qui nous retire sans cesse l’accès à ce qui nous a précédé. Nous avons un devoir de représentation et de mémoire, et cette lutte est indissociable de qui nous sommes.

Dans l’autoportrait d’eden qui nous tend un miroir, je suis touchée par sa manière directe et sensible de s’inclure dans l’histoire, de toujours parler d’un point de vue situé, de parler avec et pour les autres. eden levi am est généreuxse et donne de l’importance aux voix de chacun.e. eden se souvient de sa propre mise à nue, et de sa révélation. Elle partage ses ressources. Convoque la communauté queer féministe dont elle fait partie. Il s’agit ici, et pour toujours, d’amitié et de force commune à activer ensemble.

Ses images, eden les a voulu grandeur nature. De la taille qui dessine les contours des corps invisibles. Des images aussi grandes que celleux qui les regardent pour faire exister des corps palais, qui révèlent la beauté de leur force. Repeupler les rivières et les imaginaires. eden levi am rend l’existence de touste importante et colossale. Rivers est un trésor inestimable.

 

Gorge

 

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Preciado Paul B., Hypothèse révolution, Dysphoria mundi, Grasset, 2022, page 65

 

Horaires: 

mardi - samedi 14h/18h