Je suis la Menteuse
jeudi 17 mars dès 16h
La broderie petite-bourgeoise pour les petites filles modèles proprettes qui fleurent bon la savonnette ? Très peu pour Elodie Weber et Lola Jungle qui font sauter le verrou du cercle à broder pour dévoiler sept portraits de femmes meurtrières ayant défrayé la chronique. Sept histoires qui exhalent des effluves d’oignon, de fauve et de sang. Violette, Erzsébet, Enriqueta, Christine, Léa, Véronique, Aileen. Un seul fil les unit : elles ont ôté la vie.
Sur de grands pans de tissus brodés multicolores, débordants de travaux d’aiguille de longue haleine, d’aplats et des jets spontanés de peinture dégoulinants, les deux artistes convient leurs jumelles à un huis clos trash, provocateur et sans concession. Dans un acte de broderie enragé, les fils de soie, les paillettes, les épingles à têtes perlées et les cotons raffinés percent l’intimité crue de ces tueuses, mettant à nu leur fragilité et leurs déchirures les plus profondes. Sur le revers des textiles et des piqûres de fils, elles révèlent leur face cachée dans des larmes de laine qui coulent en cascade, des impacts de pinceaux déchirant les chairs, ou des invitations glaçantes à « danser jusqu’à en devenir bleue ».
Symbole historique de l’enfermement domestique et social des femmes, la broderie devient ici brutale, punk, subversive. Les gentilles fifilles ont délaissé leurs points de croix au coin du fourneau. Elles aiguisent désormais leurs aiguilles, prêtes à dégainer les pistolets à laine. Elles se moquent du qu’en-dira-t-on de leurs fréquentations, en s’acoquinant avec ces femmes controversées, fantasmées, incomprises, mises en procès et condamnées par leurs pères. Cruelles, colériques, sadiques, sanguinaires, vénéneuses, empoisonneuses, parricides, incestueuses, prostituées, sorcières, prédatrices, monstrueuses, infanticides, mauvaises filles, menteuses. Menteuses
A la lisière entre réalité et fiction, le travail d’Elodie et Lola ne cherche ni à délivrer ou à rétablir une vérité. Les deux brodeuses impriment dans l’étoffe la douleur et la violence qui unissent ces sept femmes pour raconter les Menteuses. De fil en aiguille, dans les entrelacs de ces récits imaginaires, elles décortiquent avec humour et tendresse le mythe autour de ces femmes meurtrières, démontrant en force le pouvoir donné à la parole. Mentir pour quoi ? Pour qui ? Ne pas dévoiler ses pulsions et ses pensées inavouables. Ne pas laisser transparaître ses blessures les plus sombres, sa colère. Mentir, c’est aussi devoir se taire, de par sa condition de marginale, de femme, de servante, de faible. Ne pas oser parler, de peur de s’opposer à la vérité des autres, des hommes, des patrons, des puissants. Se protéger. Avant le passage à l’acte et le coup fatal.
« J’ai toujours éprouvé une fascination pour l’aiguille et son pouvoir magique. L’aiguille sert à réparer les dommages. » déclarait Louise Bourgeois. Au-delà de la chronique criminelle racoleuse, Je suis la Menteuse se veut comme un cri d’amour, un coup de poing sur la table, une demande de réparation. Comme une invective à raccommoder nos cœurs et nos corps meurtris, à reprendre le pouvoir sur les blessures du passé et à arrêter de tendre l’autre joue. Une fois pour toutes.
Camille Avellan
Avec le soutien de la Ville de Genève et de la Loterie Romande
Portrait : Isabelle Meister
mardi - samedi 14h/18h